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Double Je (Reiko Momochi)

Un manga qui présente tous les visages de la tragédie grecque! 16/20

Le synopsis

Double Je est un manga classé dans la catégorie des shôjo. Publié en 2008 il relate l’histoire de deux sœurs jumelles monozygotes affichant des personnalités très disparates. Alors que Kotori est sérieuse et obéissante, Nobara est espiègle et insouciante. Malheureusement, la quiétude de la vie familiale disparaît suite à un drame irréversible.

La critique

Cette histoire riche en rebondissements et en émotion ne laisse pas le lecteur indifférent, tant il puise sa trame dans ce qui affecte l’âme humaine: la perte, la fin de l’innocence, la culpabilité, la destinée et le libre arbitre. La trame du récit montre comment les protagonistes évoluent à leur insu vers le tragique, avec cette césure fatale lorsque Nobara tombe dans la rivière et que son père saute dans l’eau pour la sauver. Victor Hugo raconte le même drame dans Les Contemplations: sa fille tombe dans le fleuve et son mari plonge pour la repêcher, mais ils meurent tous les deux. « Et, maintenant, on entend le fleuve qui pleure », conclut-il. Mais dans le manga, seul le père meurt, et pour les trois survivants de la famille, c’est un nouveau départ teinté de doutes, de regrets, et de larmes qui s’engage.

La réalisation du manga, les tracés, généralement ronds, et la composition des personnages, est très maîtrisée: on évite le pathos tout en suggérant, à travers les gros plans sur les visages des jeunes filles, toute la dramaturgie pitoyable. La force de ce manga, -l’émotion et le malaise qu’il suscite, – réside dans le fait qu’il parle d’une tranche de vie qui, en définitive, pourrait être celle de n’importe qui. La vie de tout un chacun peut basculer du jour au lendemain. On est meurtri au fil des pages par le drame qui touche cette famille: le papa mort, la maman anéantie, et un poids trop lourd pour les épaules de deux adolescentes. Nobara exprime son désespoir ainsi:

La vie n’est pas une question de chance (…). J’ai détruit notre avenir à tous les quatre.

Comment, à 12 ans, peut-on se reconstruire quand on a, involontairement, causé la mort de son père? Faut-il déserter la vie ou avancer malgré tout? Double Je présente tous les visages de la tragédie grecque, la confrontation à un fatum impitoyable. Si vous aimez les intrigues renversantes, les scènes bouleversantes, oui, vous serez séduits par ce shôjo plein de surprises.

L’auteur

Reiko Momochi est connue pour aborder des sujets jugés difficiles. Dessinatrice et scénariste née à Tokyo et spécialisée dans le genre shôjo, elle a notamment pris position contre le nucléaire dans son manga Daisy, lycéennes à Fukushima, paru en 2012. Son éditeur français, Akata, affirme croire en son talent, mais précise que la publication d’autres de ses œuvres dépendra du succès (ou non) de Double Je.

Le détail

En analysant ce manga j’ai relevé des petites incohérences qui, certes, n’enlèvent rien à la pertinence de l’intrigue.

Par exemple, après la mort du père on retrouve entre Nobara et Kotori la complicité propre aux jumeaux, puisqu’elles se font passer l’une pour l’autre pour que Nobara puisse régulièrement passer du temps avec sa mère. Nobara, vivant désormais avec sa grand-mère puisque sa mère l’avait tenue responsable du drame, utilise ce moyen pour passer du temps avec sa mère qui lui manque. Cette dernière ne se rend pas compte de la supercherie, ce qui est anormal. En principe, un père ou une mère est toujours capable de distinguer ses jumeaux, ne serait-ce que parce que les monozygotes développent des différences épigénétiques. Mais, au fond, est-ce réellement une incohérence? Est-ce que Natsuko, au moins inconsciemment, ne sait pas qu’il s’agit de Nobara, mais choisit de jouer le jeu, parce que sa fille lui manque aussi?

Une deuxième incohérence apparaît le jour des obsèques. La mère, âgée de seulement 34 ans, apparaît avec la chevelure totalement blanche. Un tel phénomène est possible suite à un choc émotionnel et les scientifiques l’appellent la «canitie subite». Le problème est que ce phénomène est irréversible. Or, quand on retrouve Natsuko quatre ans plus tard, elle a de nouveau les cheveux totalement noirs. On peut imaginer qu’elle a pu se teindre les cheveux, mais entre la page 26 et la page 34 la différence est perceptible. Mais là aussi on peut se demander si ce n’est pas de propos délibéré. Quand Marie-Antoinette est frappée par ce phénomène, on le remarque la veille de son exécution, et il n’y a plus d’espoir.

Est-ce que, quelque part, et de manière subliminale, Momochi Reiko n’essaye pas de laisser entrevoir au lecteur une lueur d’espoir dans cette histoire qui accumule les tragédies? Nous le découvrirons dans les prochains tomes.

La parenthèse

Dans cette chronique j’ai utilisé indistinctement les vocables «drame» et «tragédie». Il existe pourtant une nuance significative entre les deux. Le drame suppose une responsabilité individuelle, tandis que la tragédie porte l’empreinte du destin. Drame ou tragédie, c’est peut-être au final la question qui est au centre de ce shôjo. Nobara dit à la page 33:

« La mort de mon père était un accident, certes, mais un accident qu’on aurait pu éviter. »

Elle parle donc ici d’un drame. Mais le manga s’ouvre sur une scène énigmatique. Alors que les deux sœurs ne sont encore que des petites filles elles se promènent avec leur mère. L’une regarde à droite et l’autre regarde à gauche. Chacune va voir quelque chose de totalement différent. Celle qui regarde à droite voit un bouquet de fleurs, celle qui regarde à gauche voit un chat mourir sous les roues d’une voiture. L’auteur ne nous révèle pas laquelle des deux à vu quoi mais cette scène d’ouverture suggère déjà dans cette histoire la présence du destin. Cette question est actuellement très prégnante au pays du soleil levant. Preuve en est cette mode consistant à effectuer de la chirurgie esthétique pour modifier les lignes de ses mains, et ainsi changer son destin.

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