Le maître des livres (Umiharu Shinohara)
Une ode aux Lettres et une incitation à la lecture! 18/20
Le synopsis:
Le maître des livres est un manga de Umiharu Shinohara, créé en 2011, dont l’intrigue gravite autour de la bibliothèque La Rose trémière. Le personnage principal, Mikoshiba, qui, sous certains aspects, s’apparente à un anti-héros, est connu pour son caractère exécrable, y compris avec les enfants, mais se distingue aussi par un professionnalisme indicible. Pour chaque personne qui pénètre dans sa bibliothèque, il trouve toujours le livre idoine, celui qui correspond parfaitement à ses besoins.
La critique:
Placer la littérature au cœur d’un manga, tout en introduisant un personnage présentant des traits de caractère communs avec le Docteur House, était une idée audacieuse. Si on peut reprocher à ce seinen une absence de trame de fond, on peut considérer que Shinohara apporte véritablement une pierre nouvelle à l’édifice du manga. L’auteur nous montre d’abord que ce que l’on dédaigne parfois comme de la petite littérature, le manga, peut servir de réceptacle à la transmission de ce que l’on considère comme la grande littérature. C’est une ode aux Lettres, quelles qu’elles soient, une incitation à la lecture. Ainsi, le tome 1 met notamment en lumière Recueil de contes pour enfants de Nankichi Niimi et L’île au trésor de Stevenson.
Quand on lit ce premier tome, on comprend très vite que les idées véhiculées ont une visée pédagogique:
Tout d’abord, le devoir de transmission: il faut insuffler à la jeunesse l’amour des livres, afin que le patrimoine littéraire survive à travers les âges. Ce thème avait déjà été défendu dans des ouvrages comme Fahrenheit 451.
Ensuite, le pouvoir du livre: le tome commence par le récit de Myamoto, un homme qui a perdu ses valeurs d’enfant. Lorsque Mikoshiba lui tend incidemment un livre et qu’il le lit, il réalise que l’histoire est en adéquation avec ce qu’il est en train de vivre. Il demande alors à Mikoshiba s’il ne lui a pas tendu cet ouvrage exprès. A quoi ce dernier réplique: «Ce n’est pas toi qui choisis les livres… Mais les livres qui te choisissent.» Le pouvoir du livre s’exprime dans ce seinen par l’idée qu’un ouvrage peut réconforter, redresser, améliorer l’individu, comme de nombreux auteurs l’ont exprimé par le passé:
«La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres!» (Stéphane Mallarmé)
«C’est la littérature qui rend les peuples grands (…) Une armée passe, une Iliade reste» (Victor Hugo)
Enfin, l’enfant dans l’adulte: cette notion transparaît avec le parcours de Miyamoto. «Vu qu’il n’y a que des livres de gamins, il n’y a rien a lire pour moi!» s’exclame-t-il à la page 7. Et pourtant, ce que va révéler son contact avec l’ouvrage, c’est qu’en chaque adulte sommeille un enfant. En grandissant cet enfant perd son innocence. Mais la littérature jeunesse peut raviver sa candeur et permettre à l’adulte égaré de se retrouver.
Pour tout dire, Le maître des livres est un excellent manga, et j’irais même plus loin en soutenant que c’est un manga d’utilité publique dans un monde où la technologie occupe une place toujours plus prégnante.
L’auteur:
Quelques mots sur l’auteur. Umiharu Shinohara est un scénariste et un dessinateur japonais. Il est difficile de reconstituer son parcours, étant donné qu’il publie d’autres ouvrages sous des pseudonymes.
Le détail
En observant le graphisme de ce seinen, mon attention a été attirée par la coupe de cheveux de Mikoshiba: elle a la forme d’un champignon. D’ailleurs, dans le tome 3, on l’appelle «Champignon». Ce détail est intéressant pour deux raisons:
Tout d’abord car ce qui caractérise le personnage, c’est sa perspicacité. Quand un client franchit sa bibliothèque, il sait exactement le livre qui lui convient. Comme s’il possédait une connaissance intuitive de la vie de chacun. Il se trouve que le champignon est connu pour ses propriétés hallucinogènes. Les Indiens et les chamans l’utilisaient pour entrer en transe et s’éveiller à la connaissance des choses occultes.
De plus, comme le montre les exemples de Miyamoto et de Shôta, la lecture des ouvrages transforme les personnages. Comme si l’accès à ce lieu et la confrontation avec son propriétaire constituaient un parcours initiatique. On se remémorera le chapitre 5 d’Alice au pays des merveilles quand la jeune fille se retrouve face à une chenille sur un champignon. La larve lui explique alors que manger un côté du champignon fait grandir, tandis que l’autre fait rapetisser.
Ici, La Rose trémière fait donc figure d’étape initiatique permettant d’accéder à la maturité, et ce grâce aux livres.
La parenthèse:
En définitive, Le maître des livres (Komikku éditions) est un bel hommage aux bibliothécaires. Tenir une bibliothèque ne consiste pas uniquement à numéroter et à classer des ouvrages. C’est aussi avoir un vrai contact avec les livres et transmettre aux autres l’envie de lire. Nombre de dessins animés ont créé des vocations: Jeanne et Serge, Olive et Tom, etc… Peut-être que ce manga suscitera l’intérêt de quelques jeunes lecteurs pour cette noble profession.
MassCritics