Les soeurs Hiroshima (Mariko Yamamoto)
« Le corps meurt mais les écrits et le souvenir survivent » 20/20
Le synopsis:
Hiroshima, Japon, 6 août 1945. Akiko a 15 ans. Alors qu’elle mène une vie insouciante aux côtés de de sa grande sœur, un violent éclair fait basculer à jamais leur existence. En moins d’un jour, le monde qu’elles ont connu devient un chaos innommable. Malgré les épreuves, la jeune fille garde en elle une lueur pour avancer : l’amour qu’elle a pour son aînée.
La critique:
Mariko Yamamoto nous livre un récit de guerre que lui a douloureusement livré Akiko à l’âge adulte, quelques années après l’explosion de la bombe nucléaire. De la catastrophe de Hiroshima, je n’avais que les souvenirs des cours que mes professeurs d’histoire m’ont prodigués. Malgré les divers livres que j’ai lu au cours de ces dernières années, je n’ai pas eu l’occasion de me replonger dans cette tragédie. Avec ce très beau roman je regrette de ne pas avoir été plus assidue sur les bancs de l’école.
En très peu de mots, on ressent tout ce qu’elle a pu vivre, et notamment, cet amour et cette admiration qu’elle avait pour sa grande sœur. En fermant les yeux, on pourrait entendre leurs rires, les imaginer sous les pins des Bouddhistes dans leur jardin. Akiko nous raconte sa jeunesse où sa grande sœur lui a servi de guide, de mentor. Il est touchant de voir qu’avec tout ce qu’elles vont endurer en l’espace de 24 heures, cette tendresse et cette complicité seront toujours leur moteur pour avancer. Alors que l’aînée, blessée, s’oublie pour sauver sa cadette, les rôles vont s’inverser jusqu’au dernière souffle de la première.
Malgré la pudicité asiatique sur les sentiments, l’auteure utilise les mots justes pour faire passer l’intensité de cette relation, le dévouement et l’amour qui en émanent. Lorsqu’elle évoque les souvenirs d’Akiko, il est très facile de s’imaginer à sa place tant la description de ceux-ci font la part belle aux émotions, en toute simplicité.
Et des émotions, il y en a à chaque page, même lorsque l’auteur évoque sans détours le monde d’après. La description du chaos post-explosion n’est pas édulcorée, comme on pourrait s’y attendre dans un livre destiné à des lecteurs de cet âge. Mais avec des mots choisis, des phrases très bien construites, tout est dit. A travers les 5 sens d’Akiko, on découvre l’horreur : le silence assourdissant, le goût du sang, l’odeur de la fumée, le contact avec les maisons détruites, la vue des corps et des survivants qui semblent errer tels des fantômes. Au-delà de ces ressentis, on retrouve la confusion qui habite la jeune fille face à un tel désastre : respecter les codes ou les ignorer pour survivre ?
La construction du livre est à l’image de la vie d’Akiko : il y a un avant et un après l’explosion. Si la première partie est joyeuse et colorée, la seconde en est le total opposé. Tout en évitant le voyeurisme, Mariko Yamamoto utilise des termes précis pour tenter de nous faire découvrir l’après. L’odeur de la mort se fait sentir à chaque instant. On ne peut que s’imaginer ce brasier foudroyant et cette puissance incommensurable qui a suivi la détonation et l’explosion. Il n’est plus question de douceurs et de rires. Akiko utilise alors des termes liés aux couleurs du feu et à la noirceur pour décrire l’instant.
Le message d’Akiko vient conclure cette plongée en enfer. Celui-ci n’est pas haineux envers ces Hommes qui sont responsables de « tout ça ». Elle souhaite que la lecture de son récit de guerre n’engendre pas un sentiment de haine envers qui que ce soit. Même si elle est l’une des victimes de ce jeu de massacres entre grandes nations, elle rappelle que chacune d’entre elles a commis des crimes. On lit entre les lignes de son récit un discours de paix et de sagesse. Comme à chaque fois, un tel témoignage de guerre prend aux tripes et invite à se (re)plonger dans l’Histoire.
De mon œil d’occidentale, cette histoire est, aussi, une invitation à la découverte de la culture japonaise. Respect, place des croyances, culture culinaire, … : Akiko évoque, par bribes lors de ses souvenirs, sa culture et l’histoire de son pays. Elle raconte l’effort de guerre qui est demandé à chacun, les relations, l’importance de l’Art en mentionnant divers folklores importants pour la péninsule (les contes, la peinture, …).
J’ai fait plusieurs recherches, me rendant compte que j’étais ignare sur la vie des japonais au cours de l’attaque de Hiroshima. Mes cours d’histoire étant lointains (et, ce n’est pas faute d’avoir eu des professeurs intéressants). J’ai donc redécouvert ce tragique événement, mais cette fois, vu par les victimes. Car, comme Akiko nous l’apprend, au-delà de l’atrocité vécue lors de l’explosion de « Little Boy », celles-ci ont été doublement victimes. Avec ce livre, l’auteur entend rendre hommage à tous ceux qui ont péri ou survécu à cette tragédie.
C’est armé d’un paquet de mouchoirs, si vous êtes comme moi (hyper)sensible, que je vous invite à lire les Sœurs Hiroshima (bayard), mon premier coup de cœur de l’année 2019. Même s’il est principalement destinés à un lectorat jeune, chacun y trouvera de l’intérêt. Car quelque soit votre âge, vous serez émus et touchés par le fond de l’histoire et par cet amour fraternelle entre les deux protagonistes.
L’auteur:
Mariko Yamamoto est née en 1927. Elle se consacre, en parallèle de ses différents écrits, à transmettre des témoignages du passé.
Le détail:
Lorsque les survivants évoquent l’explosion, plusieurs utilisent le terme « pika ». Dès le 09 août 1945 dans le journal du Dr Michihilo Hachiya (survivant de l’attaque) apparaît le mot « Pikadon ». En japonais, « PIKA » signifie étincelle, lueur ou éclat soudain de lumière et « DON », déflagration, boum.
La parenthèse:
Plusieurs livres évoquent ce dramatique évènement. Mais le cinéma n’est pas en reste. En 1959, Marguerite Duras écrit un scénario pour Alain Resnais qui deviendra le film Hirsohima mon amour. Emmanuelle Riva y joue le rôle d’une actrice française vivant un amour passionnel mais bref avec un architecte japonais lors d’un tournage à Hiroshima. Alors que tous deux ont vécu la Seconde Guerre Mondiale, leurs souvenirs viennent se mêler à leur relation.
Magalie de MassCritics