Purgatoire – Livre 1 (Chabouté)
Un méticuleux travail d’exposition. 17/20
Le synopsis:
Benjamin Tartouche met enfin sa vie en ordre : il se déclare officiellement en free-lance, achète du matériel informatique, et est prêt à travailler. Dernière formalité : faire assurer la maison qu’une vieille tante vient de lui léguer, ce que Benjamin fait avec la fierté de pouvoir se déclarer « propriétaire ». Quelques temps plus tard, la maison brûle, laissant Benjamin sans-abri, incapable de travailler, et dans l’attente d’un hypothétique remboursement que son assureur, Trusquin, prend grand soin de retarder…
La critique:
Purgatoire aborde en premier lieu la déchéance dans la société moderne ; Benjamin Tartouche, d’un seul coup, perd tout ce qu’il possède : sa maison, ses papiers, son travail, son compte en banque, et sa dignité. Il sombre dans la misère, sans obtenir la moindre aide de qui que ce soit, méprisé par les passants dans la rue, mais dédaignant lui-même la compagnie des autres sans-abris. C’est là un commentaire sans douceur que réalise Chabouté : dans le monde d’aujourd’hui, il est non seulement très facile de perdre absolument tout, mais en plus, personne n’offrira son aide. Benjamin, en perdant ses biens, perd ainsi son statut d’être humain.
Le grand ennemi de Benjamin, cependant, n’est pas nécessairement la cruauté ou le désintérêt des autres, mais la procédure administrative (même si elle est artificiellement retardée par Trusquin). Benjamin passe la majeure partie du volume à attendre que son assureur le rembourse pour l’incendie de sa maison, et doit d’abord réclamer qu’on s’occupe de son cas, puis patienter jusqu’à la visite de l’expert venu s’assurer de l’état de sa maison après l’incendie, et enfin attendre que le résultat de l’inspection soit pris en compte. Cette procédure interminable est, dans le premier tome de Purgatoire, le grand ennemi de Benjamin Tartouche, d’autant que l’assureur Trusquin ne se prive pas de faire traîner les choses.
La misère de Benjamin est l’un des aspects les plus intéressants du volume, parce qu’elle le pousse dans un rôle très différent de celui qu’il a au début de l’intrigue : de jeune free-lancer dynamique, prêt à se lancer dans une vraie carrière, il devient une âme perdue, un rebut (littéralement : le reste de l’humanité le rejette), et en quelque sorte, un observateur. Son nouveau statut de sans-abris lui permet de voir comment les autres traitent depuis toujours ceux qui, comme lui, n’ont rien, et qui « gênent ». D’abord observateur, Benjamin devient presque un espion, un voyeur, ce qui prendra une très grande importance dans les deuxième et troisième tomes.
L’auteur :
Christophe Chabouté commence sa carrière au début des années 1990. Scénariste et dessinateur, il assure seul la réalisation de tous ses albums. Une indépendance qui se traduit peut-être, dans Purgatoire (Vents d’Ouest), par la solitude du protagoniste Benjamin Tartouche ; un thème que Chabouté reprend beaucoup plus littéralement dans Tout seul, en 2008. Depuis 1998, Chabouté publie presque tous les ans un nouvel album, abordant des thèmes variés avec cynisme et humour noir, des sorcières de campagne au Moby Dick d’Herman Melville, qu’il adapte en 2014.
Le détail:
Purgatoire est une trilogie. Format inhabituel pour Chabouté, il lui permet ici d’explorer en profondeur les thèmes de rédemption, d’influence, et de conscience. Le premier tome, cependant, se concentre sur la déchéance du personnage principal, Benjamin Tartouche, et s’achève brutalement. Ce n’est qu’à partir du deuxième tome que l’intrigue est vraiment lancée. Il est donc préférable de lire les trois volumes sans interruption, pour vraiment apprécier la trilogie dans son ensemble ; on peut même dire que le premier volume souffre d’être lu seul, compte tenu du méticuleux travail d’exposition réalisé par Chabouté, qui ne mène à rien sans l’intrigue développée dans les deux autres volumes.
La parenthèse:
Un des thèmes centraux de Purgatoire est l’aspect tragique de la vie humaine, et la bassesse trop souvent existante chez les « honnêtes gens ». C’est un thème que l’on retrouve dans la saga Sambre, qui raconte une histoire d’amour impossible avant et pendant la Révolution de 1848, où le regard des autres pèsent sur les deux protagonistes comme un jugement permanent, alors qu’ils se retrouvent, comme Benjamin Tartouche, forcés de plonger dans l’ordure humaine pour survivre.
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