Un jour comme les autres (Paul Colize)
« Entre ombre et lumière… » 18/20.
Le synopsis:
Eric Deguide, professeur de droit international, disparaît. Un matin comme tous les autres, il part travailler et laisse Emily, sa compagne, seule. Celle-ci ne peut se résoudre à cette disparition si soudaine alors que, autour d’elle, tous semblent baisser les bras. Eric Lallemand, journaliste d’investigation au Soir et qui a connu Eric, ne semble pas non plus prêt à abandonner cette affaire. Avec son jeune collègue au style peu académique Fréderic Peeters, ils vont entrer en contact avec la jeune femme. Les obsessions d’Emily auront-elles raison du mystère entourant la disparition de son compagnon ?
La critique :
Voilà un roman dont le titre ne reflète pas le contenu. En effet, ce Un jour comme les autres n’est pas un livre banal, pas un livre qu’on oublie aussitôt refermé. Non, il est de la trempe de ceux qui vous obsède, de ceux dont les mots vous hantent et vous reviennent en tête des mois voire des années après sa lecture.
Comment cela ? Par la plume de l’auteur, d’une beauté renversante, d’une finesse rare. Elle joue avec nous comme avec l’alternance des personnages et de leurs sentiments. Sans être d’une noirceur abyssale, Paul Colize distille tout au long de son roman une tension sous-jacente digne des meilleurs polars. Il vous prend non pas à la gorge, mais par la main et vous guide dans la vie et le spleen d’Emily. Dans sa vie actuelle mais également passée par le biais des nombreux souvenirs de ce qu’elle a vécu auprès d’Eric.
D’ailleurs, l’utilisation des flashbacks est très présente dans ce roman. Plusieurs personnages ont droit à un petit retour vers le passé afin que nous puissions mieux les cerner et comprendre leurs actions présentes. Le nombre de protagonistes interagissants au cours de l’enquête (voire des enquêtes) donne un côté roman chorale à ce livre. Et, tous ces personnages ont donc une importance variable concernant la disparition d’Eric, la résolution de celle-ci ainsi que la vie que mène Emily.
Les chapitres ultra-courts choisis par l’auteur donnent non seulement un rythme de lecture plutôt rapide mais permettent aussi de mieux différencier chacun des personnages. L’enchevêtrement de leurs récits se fait ainsi de façon naturelle et, à mesure que nous en apprenons un peu plus au sujet d’Eric, nous connaissons un peu mieux chacun des protagonistes (la liste des personnages principaux au début du livre peut s’avérer utile également).
Un élément qui peut paraître déstabilisant en début de lecture est le changement de point de vue entre les chapitres. Lorsqu’il s’agit d’Emily, la première personne est employée, nous rapprochant d’elle, faisant de nous des interlocuteurs privilégiés, presque des confidents. Par contre, lorsqu’il s’agite des autres personnages du roman, c’est la troisième personne qui est utilisée, créant une distanciation et nous laissant tels de simples spectateurs.
L’omniprésence des chiffres dans la vie d’Emily que l’on retrouve sur la magnifique couverture du livre est aussi (et surtout) un moyen pour elle de s’accrocher à l’espoir de retrouver un jour Eric vivant. Cette fixation sur les chiffres ainsi que d’autres aspects de sa personnalité donne un personnage beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord et le changement de personne la concernant amplifie cette notion.
Un excellent roman, parfaitement maîtrisé, une plume somptueuse ainsi qu’une intrigue solide et bien menée, voilà la recette de ce roman de Paul Colize qui n’est pas un simple thriller mais tout simplement un grand roman baigné tant de lumière que de ténèbres, bercé tant par l’opéra que par Kurt Cobain.
L’auteur :
Né à Bruxelles, Paul Colize collectionne les prix littéraires les plus prestigieux (Landerneau du Polar, Boulevard de l’Imaginaire, Polars Pourpres, Plume de Cristal, etc…). Il est l’auteur d’une douzaine de romans noirs dont Back Up, Un Long Moment De Silence ou Concerto Pour Quatre Mains. Lui-même pianiste, la musique tient une place importante au sein de son œuvre.
Le détail :
La musique. L’opéra est au cœur du récit et de la vie d’Emily. Naturellement douée pour le chant, l’opéra est une de ses passions. Elle n’hésite d’ailleurs pas à rapprocher certains moments de son existence à des arias célèbres. A l’opposé de cela, Fréderic Peeters lui, se détend en écoutant Nirvana à haut volume et profite du pouvoir cathartique de la musique quand Emily est elle obsédée par son côté hypnotique ( en lien avec son addiction aux chiffres).
La parenthèse :
Il existe une caste de romans difficiles à ranger dans une catégorie. Un jour comme les autres (HC éditions) en fait parti. A l’instar de Donna Tartt et de son fabuleux Maître Des Illusions qui vogue entre thriller et roman initiatique, le roman de Paul Colize est à mi-chemin entre littérature noire de par son thème et littérature blanche de par son développement. Un autre point commun à ce type de roman est la présence au premier plan de l’art peu importe sa forme ( musique dans ce cas et dans Le Complexe D’Eden Bellwether de Benjamin Wood, cinéma dans Intérieur Nuit de Marisha Pessl, littérature dans Le Maître Des Illusions ou peinture dans Le Chardonneret de Donna Tartt).
Sébastien L. pour MassCritics